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l'exigeante
8 mai 2013

"La légende de Bloodsmoor"

Deuxième volet de la "trilogie gothique" de Joyce Carol Oates, après Bellefleur, péniblement lu l'été dernier.

Il s'agit d'une trilogie en ce sens que les œuvres ont indéniablement quelques points communs, elles sont situées historiquement à peu près au même moment (la fin du XIXème siècle, même si Bellefleur s'étalait sur un temps bien plus long, remontant plusieurs générations en arrière), et surtout partagent quelques éléments communs : de larges familles dont les membres appartiennent à ce que l'Amérique a de plus proche d'une aristocratie : des WASP, riches industriels, de la côte est; de grandes demeures (manoirs, châteaux), et une intrusion du surnaturel, de l'inexplicable.

 

Mais si j'ai peiné sur Bellefleur, j'ai en revanche lu rapidement et avec plaisir La Légende de Bloodsmoor . Peut-être parce que j'ai désormais accepté le "pacte", et que je sais que j'y trouverai quelque chose de très différents de ce que j'ai adoré chez Oates dans Petite sœur, mon amour ou Blonde, par exemple; mais aussi parce que la narration de ce deuxième volume m'a semblé beaucoup plus fluide, beaucoup plus élégante, assez proche sur certains points de la narration de Nous étions les Mulvaney, qui m'avait ébouriffée. En effet, comme dans les Mulvaney, le "germe" de toute l'histoire qui va suivre est contenu dans un seul élément, "tragique" et imprévisible. Cet élément, ici, l'enlèvement de la jeune Deirdre Zinn par une montgolfière noire, nous est annoncé dès les toutes premières pages, mais sa description, et sa "genèse" sont l'objet de toute la première partie, soit une bonne centaine de pages.

Mais ce qui fait tout le "sel" de cette narration, c'est la présence d'une narratrice, narratrice anonyme, omnisciente, mais dont le jugement moral sur tout ce qui se déroule sous ses yeux est tellement biaisé par ses préjugés qu'elle interprète les évènements qu'elle décrit à l'opposé de l'interprétation qu'en fait un lecteur du XXIème siècle.

 

Cette narratrice va, par exemple, trouver absolument normal que, "par soucis de chasteté", un mari demande à sa jeune épouse de porter son corset, ses jupons, sa chemise, et un capuchon opaque sur la tête, chaque soir, au moment où il vient dans le lit conjugal. Là où elle décrit une scène de perversion sexuelle, et là où nous la lisons comme telle, son jugement est si voilé qu'elle conclut, au contraire, en louant la chasteté de ces deux époux chrétiens...

Cette narratrice qui incarne le puritanisme extrême des américains (dans ce milieu et à cette époque, cela va sans dire), est une figure essentielle du roman. C'est elle qui nous amène à comprendre à quel point ces préjugés, cette morale protestante, cette pudibonderie pèse lourdement sur les cinq jeunes filles de la famille Zin, et nous comprenons mieux leurs choix à la lumière de ce joug qu'elles ne peuvent endurer.

 

Concernant l'intrigue du roman, je préfère ne pas la résumer, c'est un dessin du destin de chaque fille Zin, toute ayant bien sûr une histoire extraordinaire, le plus souvent en parfait désaccord avec la pesante morale de l'époque... C'est assez jubilatoire à lire, on finit par se prendre d'affection pour les héroïnes, notre affection étant bien sûr proportionnelle à la désapprobation de la narratrice pour le comportement de ces femmes qui choisissent, l'une après l'autre, de s'extraire du destin tout tracé qui est celui des jeunes filles de la bonne société : accepter un mariage qui arrangent leur famille, et se soumettre ensuite à l'entière autorité de leur époux.

J'ai une dernière observation, qui concerne la traduction du titre : le titre original est A Bloodsmoor romance, qui me semble bien plus proche de l'atmosphère créée par l'auteur dans ce roman, que La légende de Bloodsmoor.

La "romance", mot qui existe aussi en français, n'est pas une "légende"; il s'agit plutôt d'une fiction populaire et sentimentale, ce qui convient parfaitement à l'histoire racontée. Le destin de la famille Zin n'a rien de légendaire, en revanche !

... et le "a" en anglais, ne devrait pas être traduit par "la". "a", c'est "une", une parmi les autres.

Enfin, "Bloodsmoor", région imaginaire inventée par Oates, est assez intéressante aussi : "blood", tout le monde le sait, c'est le sang. Et le "moor", c'est la lande, comme le Dartmoor, parc régional naturel du sud de l'Angleterre, avec ses paysages désolés, sans arbres, juste constitués de rochers affleurant, d'herbes rases et de quelques buissons épineux...

"Une Romance du Bloodsmoor" aurait été à mon avis plus proche du titre original, et il est presque dommage que la tradition littéraire ne permette pas la traduction des noms propres, car "Une Romance de la Lande Sanglante", ça, c'est du titre gothique !!

 

Retrouvez d'autres billets de blogueurs sur d'autres romans de Joyce Carol Oates ici :

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Commentaires
G
J'aime ta retraduction du titre ! j'appréhende un peu de me lancer dans la lecture de cette trilogie vue l'épaisseur des différents tomes !<br /> <br /> Merci pour ta participation.
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