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l'exigeante

6 septembre 2020

Yoga (sans yogourt)

 

Le "dernier" Carrère, donc.

J'aime passionnément cet écrivain, il me touche, me bouleverse à chaque livre ou presque...

... et je ne vais pas être originale car toutes les critiques que j'aperçois disent la même chose, mais je vais le dire quand même : jamais comme cette fois...

Carrère parle de lui, intimement, alors je vais faire la même chose sur ce blog qui n'est ni vraiment un blog-livres par son manque d'exhaustivité ni surtout un blog-journal parce que,  je vais parler de moi en faisant semblant de raconter le livre de Carrère...

 

J'ai démarré mon "histoire" avec Carrère en 2009 avec D'autres vies que la mienne, qui raconte la naissance de son couple, au milieu de plusieurs tragédies.

Dix ans plus tard, dans ce Yoga, on assiste à la fin de cette parenthèse heureuse de dix ans, passés auprès d'une femme qu'il aime et de leur petite fille.

Les attentats de 2015, une liaison extra-conjugale, une profonde dépression qui le conduit à l'hôpital Sainte Anne pendant plusieurs mois, et la rupture avec Hélène en filigrane, dont on ne sait pas exactement si elle est la cause ou la conséquence de sa maladie, constituent une première partie de ce récit.

Longue descente aux enfers, racontée depuis l'autre rive par un homme de presque soixante ans avec assez de recul et d'auto-dérision pour former une espèce de viatique... Carrère, heureux et le sachant, est lui-même l'artisan de son malheur : bipolaire (mais, comme il le dit, pas le genre de bipolaire qui va acheter des Ferrari ou danser nu dans la rue lors des phases maniaques), il s'ingénie à détruire d'une main ce qu'il a construit de l'autre. Il parle du yoga, ou plus généralement de toutes sortes de pratiques corporelles et spirituelles qu'il a abordées, du tai-chi à la méditation, il est une sorte de "théoricien" de l'apaisement et du détachement recherchés par ces philosophies bouddhistes, mais lui-même est tout sauf apaisé et détaché.

 

La première partie, sombre et humide comme le Morvan en janvier où s'ouvre le roman, et où se déroule son premier stage de Vipassana, laisse place à une deuxième partie estivale et solaire, en Grèce. Un peu par hasard, Carrère, sorti de l'hôpital, sur la voix de la guérison, se retrouve sur l'île de Léros en pleine "crise des réfugiés". Accompagné par une américaine délaissée par son compagnon, il propose des ateliers d'écriture à quatre adolescents afghans.
Carrère le répète, il n'a jamais réellement connu le "malheur ordinaire", les deuils, la misère : son malheur à lui est entièrement névrotique. En fréquentant ces enfants dénués de tout, en apprenant petit à petit leur histoire, en écoutant le récit de leurs voyages cachés dans la soute d'un car, de leur traversée de la Méditerranée sur un zodiaque, en les voyant là, échoués, en accompagnant ces garçons, en s'attachant à eux, petit à petit la vie revient en lui, sans grandiloquence, sans grandes théories métaphysiques.

 

Le roman s'achève d'une façon qui me parle énormément, l'auteur/narrateur a rencontré une femme "qu'il commence à aimer et qui commence à l'aimer", dit-il. Cette femme pratique le yoga, "pas du yoga solennel, pas du yoga méditatif voué à l'extinction des vritti, à la sortie du samsara ou à construire sur la durée d'une vie un état de quiétude et d'émerveillement. Pas le yoga auquel je pensais consacrer ce livre en expliquant gravement qu'il ne faut pas le confondre avec une vulgaire gymnastique, mais celui que pratiquent partout dans le monde des jeunes femmes qui comme elle trouvent que c'est une merveilleuse gymnastique et qui n'ont que faire de Patanjali et qui n'ont nulle envie de sortir du samsara parce que le samsara ça s'appelle aussi la vie et que, contrairement à ce que disent Patanjali et les siens, la vie, c'est bien. Pas que, évidemment, mais bien."

 

... et ça résume tout ce que je pense du yoga, de la méditation et de toutes les pratiques spirituelles orientales, qui visent à la "paix intérieure", à avoir un intérieur aussi calme que la surface d'un lac, à se débarrasser des "passions"... Non, franchement, ça ne m'attire pas du tout, une vie intérieure paisible et calme comme la surface d'un lac. J'ai pas envie d'être constamment ballotée dans la tempête non plus. Mais jouer dans les vagues c'est quand même le plus agréable.

 

 

 

 

 

 

 

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31 juillet 2020

Joyce Maynard, "Et Devant Moi Le Monde"

 

Joyce Maynard a 18 ans, en 1972, quand le New York Times publie son long article intitulé « Une fille de 18 ans se retourne sur sa vie ». Elle est en photo sur la couverture des pages magazine du journal : une toute jeune fille, en jean et baskets, avec une frange enfantine.

 

C’est une étudiante à Yale, une des universités américaines les plus prestigieuses ; elle écrit beaucoup, depuis son plus jeune âge ; mais elle joue également la comédie, dessine, et n’a pas forcément de projet précis.

 

Cet article qui est censé être un portrait de sa génération suscite une montagne de courrier, qu’on lui livre dans son dortoir sur le campus. Parmi toutes ces lettres, de très nombreuses propositions (pour des articles, des livres, des émissions de télévision), mais surtout une lettre de J. D. Salinger, l’auteur de L’Attrape-Cœur, qui vit reclus à une centaine kilomètres de là, et dont la vie secrète et retirée de tout a fait de lui un mythe de la littérature.

 

Flattée et pleine d’admiration, la jeune Joyce lui répond. S’ensuit une correspondance enflammée : Salinger lui dit qu’ils sont deux « Landsmen », lui prodigue conseils sur sa carrière et compliments sur son écriture, et bien sûr finit par lui donner rendez-vous. Joyce va donc passer un week-end chez un grand homme, un écrivain adulé de trente-cinq ans son aîné.

 

Bien évidemment elle en est amoureuse, fascinée par cet homme, son aura, et tout ce qu’elle découvre chez lui.

 

Leur liaison devient alors plus intense, et Joyce est contrainte d’abandonner la fac : Salinger « ne peut pas se passer d’elle », il la veut chez lui à Cornish, au fond d’un chemin de terre loin de tout… Il critique tout ce qu’elle peut voir et faire « dans le monde », il finit par critiquer ses parents et tous les gens qu’elle fréquente.

Il lui impose son mode de vie : la pratique de l’homéopathie, son régime alimentaire essentiellement crudivore et basé sur les légumes qu’il fait pousser.

Il lui impose des pratiques sexuelles qu’elle n’apprécie pas : elle raconte à un certain moment que lorsqu’elle lui prodigue une fellation, elle se force en se disant que tant qu’elle « fait ça », il ne la quittera jamais. (la pauvre petite innocente).

 

Pour finir, après l’avoir critiquée, rabaissée, humiliée, coupée de tout, après lui avoir infligé ses colères et son caractère ombrageux, il finit par la quitter, du jour au lendemain, alors qu’ils sont en vacances en Floride.

Joyce, désespérée, se voit rayée d’un trait de plume de la vie de cette homme qu’elle aime au-delà de tout.

 

Son livre Et Devant Moi Le Monde, écrit alors qu’elle a une quarantaine d’années et que sa fille aînée en a 18 et entre à l’université, raconte cet épisode de sa vie, et les vingt années qu’il lui faut pour regarder avec une certaine lucidité ce premier amour, ce « grand amour ».

 

 

J’ai beaucoup renâclé avant de lire ce livre. J’ai découvert Salinger sur le tard : j’ai lu L’attrape-Cœur  à l’âge adulte, et ça ne m’a pas beaucoup marquée. Mais lorsque j’ai rencontré la famille Glass à travers Franny & Zooey j’ai dévoré toutes ses nouvelles, et particulièrement celles autour cette famille, y compris celles qui ne sont pas traduites et qu’on ne trouve qu’en pdf sur l’internet.

 

J’éprouve un sentiment de proximité, de familiarité avec les enfants de cette familles, inadaptés au monde, décalés, trop sensibles, trop intéressés par la littérature, la spiritualité et l’art pour s’intéresser aux contingences matérielles du monde où ils vivent.

 

Et dans le portrait que dresse Joyce Maynard de Salinger, misanthrope et orthorexique, je peux également me reconnaître.

Mais Joyce Maynard parle également de sa vie à elle, après la rupture d’avec Salinger : son mariage, ses trois enfants, et la vie d’une mère qui doit écrire d’une main en soutenant de l’autre son bébé qui tête, qui fait des gâteaux de poupée ou joue au ballon dans le jardin, s’angoisse pour les factures à payer et ne réalise même pas qu’elle n’a plus le moindre espace pour sa propre vie intérieure…

 

Ce livre n’est qu’une histoire individuelle, et Joyce Maynard n’en tire aucune généralité : elle essaie d’expliquer en quoi la vie qu’elle a menée avant la fac (avec des parents intellectuels mais fauchés, un père alcoolique et une mère à la carrière brisée par la maternité qui a reporté toutes ses ambitions sur ses filles) l’a conduite à être une proie facile pour Salinger.

Mais ce qui m’intéresse, au-delà de son cas individuel, c’est un schéma récurrent : la femme très jeune, avec l’homme beaucoup plus âgé. La jeune femme insécure avec l’homme qui a tout lu, qui sait tout et qui lui montre le chemin. Salinger est un pervers narcissique si on veut, mais des histoires comme celle de Joyce Maynard il y en a plein les livres, plein les journaux, plein les maisons.

 

Des étudiantes brillantes qui finissent par faire un enfant au lieu d’une thèse. Des jeunes femmes éduquées et ouvertes qui s’enferment dans le rôle de servante, de bobonne au foyer. Des femmes pleines d’avenir qui abandonnent tout pour n’être que « la femme de ». D’un homme souvent plus âgé, plus puissant, qui prend plus de place.

 

Joyce Maynard est majeure au moment où elle part vivre chez Salinger, mais qu’est-ce que ça change vraiment, par rapport à l’histoire de Vanessa Springora avec Matzneff ? 14 ou 18 ans, quand le Grand Écrivain daigne poser ses yeux sur vous ? Qu’il dit qu’il vous aime, qu’il ne peut pas vivre sans vous ? Qu’il a 30 ou 40 ans de plus que vous ?

 

Lu sans aucun plaisir littéraire (le livre n’est pas particulièrement bien écrit, les anecdotes se succèdent les unes après les autres comme dans une rédaction d’élève de collège qui raconterait ses vacances), mais littéralement dévoré, ce livre est une pièce de plus dans la fresque gigantesque de la domination masculine.
Il me laisse plein de questions. Comment élever une fille qui soit assez sûre d’elle, assez autonome, pour ne pas accepter de se soumettre à un homme ? Comment élever un garçon qui ne soit pas obnubilé par son confort domestique et sexuel, et prêt à tout pour obtenir satisfaction ? Qui ne considère pas qu’avoir auprès de lui une femme qui réponde à ses besoins soit « normal » ?

Quels modèles de couples nos adolescents ont-ils autour d’eux ? De fonctionnement familiaux ? J’ai écouté récemment un épisode du podcast « les couilles sur la table », sur le couple justement. Et le spécialiste invité (un sociologue?) disait que selon lui, au rythme où nous allons, l’égalité au sein du couple, au regard simplement des tâches ménagères, ne serait effective que dans plusieurs centaines d’années.

 

Comme je pense que, d’ici là, nous aurons bien d’autres problèmes à traiter, tout ça mis bout à bout me donne juste envie de m’exiler à Cornish, de manger des graines de tournesol et des courges du jardin, de ne parler à personne d’extérieur, mais bien sûr d’avoir auprès de moi un homme entièrement soumis, qui prépare mes repas, m’accompagne dans mes promenades, m’écoute pérorer, me laisse travailler ou méditer en me déchargeant de toutes les contingences matérielles, et soit disponible sexuellement pour me satisfaire, quand et si j’en ai envie.

 

Mais bizarrement, ce type de fonctionnement, je ne l’ai jamais repéré nulle part, ni en vrai ni dans la littérature.

 

Si vous avez des exemples, surtout, faites-moi signe.

29 juin 2018

"Me Voici"

... il y a bientôt deux ans que je n'ai pas écrit ici, et même si ce blog est tout sauf un journal intime, il est intéressant de voir que le dernier livre chroniqué s'intitulait "pas pleurer", lu lors d'un été où je me suis beaucoup efforcée de ne pas pleurer, et que le roman qui m'a redonné envie de parler bouquin s'intitule "me voici" et qu'il est, entre autre, la chronique de la fin d'un couple, et que j'en achève la lecture deux mois avant que ne soit prononcé mon divorce...

 

Foer

... C'est donc un blog de littérature, alors parlons de ce livre. (mais à ma façon, c'est à dire avec moultes digressions, circonvolutions et parenthèses). De cet auteur, Jonathan Safran Foer, j'avais lu il y a longtemps "Extrêmement fort et incroyablement près", que j'avais vraiment adoré. Puis, l'été dernier, "Faut-il manger les animaux", environ dix-huit mois après avoir sauté le pas et être devenue "complètement" végétarienne, ou "végétarienne pratiquante", alors que j'étais seulement "croyante" avant. (*avant*). Cet essai m'avait énormément touchée aussi, pas forcément sur l'aspect journalistique, les témoignages autour de la souffrance animale (je suis convaincue d'avance), mais davantage sur le rapport entre la nourriture que nous mangeons et notre histoire familiale, entre la nourriture et la transmission... Quand il raconte comment sa grand-mère a failli mourir de faim en Russie pendant la deuxième guerre mondiale, ou comment le fait d'avoir des enfants, de nourrir ses propres enfants change fondamentalement notre rapport à la nourriture.

 

"Me Voici" parle, donc, d'une famille américaine, juive, new yorkaise. Les parents, quadragénaires, Jacob et Julia, leurs trois jeunes fils, et la famille de Jacob : son père, blogueur politique pro-israélien, son grand-père, Isaac, émigré à la fin de la guerre, et les cousins israéliens, invités à l'occasion de la bar mitsva du fils aîné de Julia et Jacob.

 

"Me Voici" parle encore des thèmes déjà présents dans les deux livres précédents de Foer : être un père, être un fils; être juif aux États-Unis, descendre de survivants de la Shoah; mais le sujet principal du roman est probablement la fin d'un couple, la fin d'une famille. Dans la biographie de Foer sur Wikipedia, on apprend qu'il a été marié de 2004 à 2014, avec une femme dont il a divorcé "à l'amiable". Cette expression m'a tiré un sourire crispé, car après les 700 et quelques pages du roman qui dissèque la fin d'un mariage, on sait qu'on peut se séparer sans hurlements ni conflit ouvert, mais pas sans souffrance...

 C'est aussi un roman sur le fait d'être parent; sur l'amour inconditionnel qu'on peut porter à nos enfants, sur l'inquiétude presque permanente que ressentent les parents qui veulent préserver leurs enfants des souffrances et des erreurs, des dangers grands et petits du monde extérieur; sur cet amour immense, presque "trop" grand (lorsque Julia demande à son mari : "Est-ce que ça te rend triste d'aimer les enfants plus que nous ne nous aimons ?"), presque douloureux :

"Le soir où Sam s'est blessé, j'ai dit à Julia que ce trop-plein d'amour nous empêchait d'être heureux. J'ai aimé mon garçon au-delà de ce dont j'étais capable, mais je n'ai pas aimé l'amour. Parce qu'il a été débordant. Parce qu'il a été nécessairement cruel. Parce qu'il ne tenait pas dans mon corps et se distordait sous la forme d'une insoutenable hypervigilance qui a compliqué ce qui aurait dû être la chose la moins compliquée qui soit - élever un enfant et jouer avec lui. Parce que ce trop-plein d'amour nous empêchait d'être heureux."

 

et sur le temps qui s'écoule, et qui s'incarne dans nos enfants qui grandissent.

Beaucoup beaucoup de passages du livre m'ont serré la gorge, en particulier ceux où Jacob, le père, s'interroge sur les premières et les dernières fois, où il  se demande si on "sait" qu'on porte son enfant pour la dernière fois...

... et lors de cet extrait, vers la fin du livre, lorsqu'il quitte la maison familiale :

"Les traits mesurant la croissance des enfants, tracés sur l'encadrement de la porte de la cuisine. Au nouvel an civil et au nouvel an juif, Jacob mettait un point d'honneur à appeler les garçons pour les mesurer. (...) [il] leur appuyait un marqueur noir sur le haut du crâne et traçait un trait de cinq centimètres. Puis il notait les initiales et la date. La plus ancienne mesure était SB 01/01/05. La plus récente BB 01/01/16. Entre les deux, un vingtaine de traits. À quoi cela ressemblait-il ? À une petite échelle pour permettre à de petits anges de monter et descendre ? Les frettes sur l'instrument produisant le son de la vie qui passe ?"

 

Il y a dans ce roman beaucoup d'autres choses encore, mais surtout, je me suis terriblement attachée aux personnages - les deux parents, les trois enfants... Et Argos, le chien, le chien vieillissant, dont la lente dégradation physique est le comme un miroir de la fin de la relation amoureuse - , terriblement identifiée aussi, à ces quadragénaires qui sont à la fois pleins de bonne volonté et pétris de contradictions...

 

"Ce que j'avais comme cheveux n'était plus qu'un accessoire, le produit d'une intervention pharmaceutique -le minuscules mains d'Aaron et Hur cramponnées à la racine de mes cheveux sous mon crâne. Je mettais ma calvitie sur le compte de la génétique et du stress. En ce sens, ce n'était guère diffétent de tout le reste.

Le Propecia éliminait la testostérone. L'un des effets secondaires les plus souvent rapportés et avérés est une perte de libido. C'est un fait, pas une opinion ni une justification. Je regrette de ne pas en avoir parlé à Julia. Mais c'était impossible, parce qu'il était impossible de lui parler du Propecia, parce qu'il était impossible d'admettre que mon apparence comptait à mes yeux. Mieux valait lui laisser croire qu'elle n'arrivait plus à me faire bander".

 

 

 

25 juillet 2016

"pas Pleurer"

Ce sont des lectures qui me prennent par hasard, des livres qui m'attendent dans un coin pour mieux me sauter à la gorge et au cœur... Celui de Lydie Salvayre, dont le titre me disait quelque chose (il a reçu le prix Goncourt en 2014, mais je ne m'en souvenais plus sur le moment, et n'avait aucun moyen de le vérifier), je l'ai choisi sur les étagère de la "bibliothèque" d'un camping, entre un Stephen King, quelques volumes de la "sélection du livre du mois" et d'autres titres hétéroclites, abandonnés là par des campeurs aux goûts variés.

 

... Et des les premières phrases, j'ai su que j'aimerai ce récit. La narratrice, qui est peut-être l'auteur (ou peut-être pas tout à fait, mais qu'importe) nous présente sa mère, Montserrat, "Montse", qui est à la fin de sa vie, frappée par la maladie d'Alzheimer. Montse a tout oublié de son existence, à part quelques mois de son adolescences, de l'été 36 à 1937.

 

Cet été là, la petite paysanne pauvre se présente à une famille aisée du village catalan où elle vit, pour devenir bonne à tout faire. Elle a quinze ans. Mais la guerre civile éclate et va changer entièrement son destin. Elle part avec José, son frère, qui se révolte contre sa famille et gagne Barcelone dans le but de s'engager dans les rangs des POUM. José est un libertaire, et ce qu'il découvre à Barcelone le persuade de rentrer finalement chez lui. Mais Montse, lors de ces quelques journées d'été, a tout découvert, la liberté, les boissons fraîches le soir sur les Ramblas, les discussions, la Révolution...

Elle rentre avec son frère, mais pour une fille de quinze ans, le prix de la liberté est souvent, en ces temps-là : une grossesse...

 

Ce sont ces quelques semaines, l'insurrection contre les franquistes, l'espoir, la lutte, puis la résignation, la défaite, la naissance de son enfant, et pour finir, la "retirada", l'exil vers la France, que Montse raconte à sa fille.

 

Et ce sont les mots, les phrases bancales de la vieille femme, qui parle en français à sa fille, instruite, médecin, écrivain, que l'auteur transcrit, avec toutes les fautes, tous les "hispanismes", et même parfois, les pans entiers de phrases où l'espagnol remplace le français.

 

Cette langue, la langue unique de la mère, est une magnifique musique dans le roman, qui s'oppose à une autre langue, un français pur celui-ci, la langue de Bernanos, dont Lydie Salvayre cite des extraits de son pamphlet "les grands cimetières sous la lune", où l'écrivain catholique, au départ plutôt hostile à la République et favorable à Franco, décrit avec horreur les crimes commis par l'armée, et la complicité du clergé espagnol.

 

De la guerre d'Espagne je connaissais ce que tout le monde connais, le POUM, les brigades internationales, la trahison communiste, les réfugiés; pendant cinq ans j'ai entendu des élèves me parler avec plus ou moins de précision, plus ou moins de conviction, de Guernica lors des épreuves d'histoire des arts au Brevet des collèges; j'ai vu "Land & Freedom", et même revu récemment toujours avec des collégiens. Mais ce court récit, alternant l'enthousiasme naïf d'une petite paysanne espagnol et le désespoir d'un grand écrivain français, ce récit m'a touchée et émue et "appris" beaucoup plus que je ne pourrais dire.

 

 

Il m'a touchée aussi, bien sûr, par sa peinture de la vie d'une jeune femme avant guerre. Tout ce à quoi elle est soumise, reste soumise malgré son désir de liberté, malgré son début d'émancipation...

 

J'ai bien entendu remis respectueusement le volume sur les étagères de la réception du camping en question, espérant que d'autres personnes feront la rencontre que j'ai faite; mais j'ai recopié quelques phrases au crayon de bois sur la page de garde du roman que j'avais fini avant celui-là :

 

"La mère, lassée, espère que ces affabulations propres à la jeunesse ne dureront qu'un temps et que José recouvrera rapidemment ce qu'elle appelle : "le sens des réalités", c'est à dire, pour elle, celui des renoncements".

"Il n'a pas mesuré combien, pour ces bouseux, la peur de perdre leurs chèvres chieuses et leur maison miteuse Tu oublies très important, leur concession au cimetière (Juan)
était plus forte que le désir de respirer les roses rouges de la Révolution (ricanement railleur et triste)"

(parlant de Bernanos) "Son Christ à lui était simplement celui des Évangiles, celui qui secourait les mendiants, pardonnait aux larrons, bénissait les prostituées et les humbles et tous les déclassés et tous les va-nu-pieds chers à son cœur. Il était Celui qui disait au jeune homme riche : Va, vends tes biens et donne-les aux pauvres. Il suffisant, bon sang, de lire les Évangiles ! (...) Il était celui qui n'avait pas été mis en croix par les communistes ni les sacrilèges, soulignait Bernanos avec sa mordante ironie, "Mais par des prètres opulents approuvés sans réserve par la grande bourgeoisie et les intellectuels de l'époque qu'on appelait des scribes".

"Il n'avait pas compris qu'avant de se réclamer d'elle [la Révolution] il fallait commencer à la faire en soi-même".

22 juin 2016

Limonov par Limonov

J'ai découvert le personnage de Limonov comme tout le monde, en 2011, lorsqu'Emmanuel Carrère a publié son livre. Dire que la lecture de ce "Limonov" m'a enthousiasmée est un euphémisme.

Cette année, avec l'apprentissage du russe, j'ai commencé à acheter et à lire plus de livres russes. L'un d'eux a été "Sank'ia", de Prilepine. Carrère (encore lui) considère Prilepine comme le jeune écrivain qu'il faut lire pour comprendre la Russie actuelle. Et Prilepine est un proche de Limonov; dans "Sank'ia", il dresse le portrait d'un jeune nazbol (National Bolchévique, membre du parti de Limonov), qui manifeste contre le pouvoir autoritaire, se fait molester par les policiers, erre, boit, souffre, écartelé entre la campagne où vit sa grand-mère, figée dans les années 30 soviétiques, et la ville où il n'y a pas de place pour lui et les autres jeunes, revenus des guerres en Tchétchénie...

Ce que montrait le roman de Prilepine, Limonov, dans son livre "Le Vieux" (qu'il appelle "roman", mais qui retrace par le menu les éléments de sa vie politique de 2010 à 2012) nous l'explique factuellement, sans l'émotion bouillonnante qui étreignait le jeune personnage écorché vif de San'kia.

Il nous raconte comment "le Vieux", chef de parti, tente de s'opposer à un pouvoir autoritaire, à la fois "tchékiste et oligarche", où les élections ne sont pas libres (seuls deux ou trois partis sont autorisés à présenter des candidats), où la liberté de manifester n'existe pas, où les violences policières sont monnaie courante...

 

Le vieux est arrêté chaque fois qu'il manifeste... Tant et si bien qu'on le voit au début du livre monter de lui-même, résigné, dans la voiture de police qui l'attend en bas de chez lui, avant même de rejoindre la manifestation. Pourtant, il est jugé sur le champ, et accusé par deux policiers de s'être rebellé, d'avoir insulté les forces de l'ordre...

Ces faux-témoignages, cette collusion entre la police et l'état, ce régime autoritaire, tout cela est très oppressant, car cela conduit les militants à ne plus pouvoir se fier à rien...


J'ai sélectionné quelques extraits, qui font hélas douloureusement écho à ce que je peux observer autour de moi depuis quelques semaines...


"Après avoir participé pendant une quinzaine d'années à des coalitions d'opposition, il avait fini par comprendre que la lutte dans le cadre de "partis politiques" ne convenait pas à la Russie. Il en avait plus qu'assez de se colleter avec les chefs et chefaillons de gauche, de droite, nationalistes et même libéraux, ces dernières années, et il avait concocté la formule des rassemblements réguliers et non-partisans sur la place. En fait, des rassemblements au-dessus des partis. Grâce à ce principe, il entendait se débarrasser des chefs et sous-fifres, battre le rappel d'un nombre croissant de citoyens et les former sur la place pour de futures actions de masse. Le dernier jour des mois qui en comptent 31, ils se rassemblaient à 18 heures précises pour faire pression sur le Pouvoir par leur seule présence sur la place, en exigeant l'application de l'article 31 de la Constitution de la Fédération de Russie" (article qui autorise les rassemblements ("liberté de réunion")

 

Limonov est conduit en prison, et il se peint sous le jour d'un homme détaché de toutes les contingences matérielles... (c'est l'image de lui que donne Carrère, également) : "Le vieux retourna à sa cellule d'excellente humeur. Le millet sans gras l'avait ragaillardi. "Me voilà prêt à plonger dans l'éternité du détenu, se dit-il. Une éternité faite de bois écaillé et de cancrelats, avec la bassine, les écuelles et les gobelets en fer-blanc, où une cuillerée de sucre en poudre sur la bouillie de millet est un enchantement. Quand aux visages torturés des détenus, les Bruegel Ancien et Jeune t'envieraient cet entourage, Vieux. Tu vas écouter des propos d'âmes simples et réfléchir à l'existence."

 

"Le Vieux pondit une formule marquante : "pour obtenir des élections libres, il ne faut pas participer à des élections qui ne le sont pas !"

"Tatiana, une quinquagénaire, maman d'un gamin binoclard, avait fait beaucoup de raffut et injurié les policiers. Elle leur avait jeté à la figure son livret d'identité et le Vieux avait dû le ramasser. Il arborait sa tête des mauvais jours, car il n'approuvait pas ce comportement à l'égard des policiers. Pour lui, cela n'avait aucun sens de les injurier et d'être grossiers avec eux. On leur donnait des ordres et ils devaient obéir. Bien sûr, on peut argumenter son aversion en affirmant qu'un brave type ne devrait pas s'engager dans la police, mais où cela mènerait-il ? Le Vieux ne croyait pas que les gens se divisent en bons et en mauvais, ni qu'ils se comportent toute leur vie soit comme des gentils, soit comme des méchants. Ce serait trop simple. La question est justement que les gens sont comme des caméléons. Quelqu'un sauvera un enfant un jour et poignardera son voisin, le lendemain. C'est comme ça..."

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15 juin 2016

"En rouge et noir"

(oui je suis assez honteuse de ce titre)

 

Il y a peu dans mon fil Facebook apparaissait un article, au moment de l'anniversaire de la mort ou de la naissance de Stendhal, évoquant "Le Rouge Et Le Noir". Je n'ai pas cliqué sur le lien, mais je me suis dis comme souvent, "tiens, il faudrait que je le relise". J'aurais oublié ce projet aussitôt si le destin ("La Providence", comme dit l'abbé Pirard, le directeur de conscience de Julien) ne m'avait pas fait buter contre un carton destiné à la poubelle (aux "encombrants") sur le trottoir, le soir même. Dedans, vieux manuels scolaires des années 90, et une édition bon marché du "Rouge et le Noir". J'ai donc aussitôt emporté l'exemplaire et commencé ma relecture.

 

Ma première lecture date du collège. Un été, sans doute entre la quatrième et la troisième (je pourrais vérfier dans mes carnets, mais j'ai la flemme de faire de l'archéologie). De cette première lecture, je me souviens uniquement des histoires de cœur de Julien. J'ai haï cet arriviste hypocrite, j'ai eu de la compassion pour Mme de Rênal, et, surtout, je me suis identifiée à mort à Mathilde de la Mole, amoureuse sublime et hautaine. Si on n'a pas aimé passionnément à 14 ans, même uniquement en imagination, on a raté sa vie. Je me souviens aussi que ce qui rendait cette histoire d'amour si vibrante à mes yeux, c'était le fait que Julien faisait l'amour avec ses maîtresses, c'était explicite. Certes, j'avais beau relire les pages en question, je n'obtenais aucun détail sur la chose, mais c'était là, entre les lignes.

(des détails, j'en ai eu au Noël suivant lorsque j'ai reçu les trois tomes de la trilogie de Régine Desforges, "La Byciclette Bleue". Si vous n'avez pas été initiée sexuellement par François Tavernier, vous avez raté votre vie).

 

... Mais revenons à Julien : si, lors de cette lecture adolescente, je n'ai pas vraiment sauté les passages qui évoquaient autre chose que les intrigues amoureuses, en tout cas, je les ai survolés, et de toute évidence il ne m'en est strictement rien resté.

 

C'est pourquoi j'ai eu l'impression de découvrir le livre lors de cette deuxième rencontre. La maturité ayant fait son œuvre, les petites affaires de cœur de Julien, l'amour désinterressé de Mme de Rênal et la passion folle de Mathilde, sans me laisser froide, sont passés au second plan, et j'ai lu avec avidité la chronique sociale et politique que fait Stendhal de son temps.

Je ne saurais donc trop vous encourager à remettre (ou à mettre, il n'est jamais trop tard pour lire un classique) le nez dans "Le Rouge Et Le Noir", car si on n'a pas lu Stendhal à (....) (insérer ici l'âge qui vous va) on a raté sa vie.

Quelques petits échantillons, pour vous prouver à quel point tout ouvrage qui évoque un tant soit peu la politique, reste d'une actualité brûlante même près de deux cents ans plus tard :

"Il n’y a point de droit naturel : ce mot n’est qu’une antique niaiserie bien digne de l’avocat général qui m’a donné chasse l’autre jour, et dont l’aïeul fut enrichi par une confiscation de Louis XIV. Il n’y a de droit que lorsqu’il y a une loi pour défendre de faire telle chose, sous peine de punition. Avant la loi il n’y a de naturel que la force du lion, ou le besoin de l’être qui a faim, qui a froid, le besoin en un mot… non, les gens qu’on honore ne sont que des fripons qui ont eu le bonheur de n’être pas pris en flagrant délit. L’accusateur que la société lance après moi, a été enrichi par une infamie… J’ai commis un assassinat, et je suis justement condamné, mais, à cette seule action près, le Valenod qui m’a condamné est cent fois plus nuisible à la société."

 

"

Où est la vérité ? Dans la religion… Oui, ajouta-t-il avec le sourire amer du plus extrême mépris, dans la bouche des Maslon, des Frilair, des Castanède… Peut-être dans le vrai christianisme, dont les prêtres ne seraient pas plus payés que les apôtres ne l’ont été ?… Mais saint Paul fut payé par le plaisir de commander, de parler, de faire parler de soi…

Ah ! s’il y avait une vraie religion… Sot que je suis ! je vois une cathédrale gothique, des vitraux vénérables ; mon cœur faible se figure le prêtre de ces vitraux… Mon âme le comprendrait, mon âme en a besoin… Je ne trouve qu’un fat avec des cheveux sales… aux agréments près, un chevalier de Beauvoisis.

Mais un vrai prêtre, un Massillon, un Fénelon… Massillon a sacré Dubois. Les Mémoires de Saint-Simon m’ont gâté Fénelon ; mais enfin un vrai prêtre… Alors les âmes tendres auraient un point de réunion dans le monde… Nous ne serions pas isolés… Ce bon prêtre nous parlerait de Dieu. Mais quel Dieu ? Non celui de la Bible, petit despote cruel et plein de la soif de se venger… mais le Dieu de Voltaire, juste, bon, infini…"

 

 

 

"— Il faut enfin qu’il y ait en France deux partis, reprit M. de La Mole, mais deux partis, non pas seulement de nom, deux partis bien nets, bien tranchés. Sachons qui il faut écraser. D’un côté les journalistes, les électeurs, l’opinion, en un mot, la jeunesse et tout ce qui l’admire. Pendant qu’elle s’étourdit du bruit de ses vaines paroles, nous, nous avons l’avantage certain de consommer le budget."

 

(et comme je suis, encore et toujours, davantage Mathilde que Mme de Rênal... Un peu moins de politique dans ce dernier passage, que j'ai corné quand même) 


"Mais si l’on a une faiblesse, se disait-elle, il est digne d’une fille telle que moi de n’oublier ses devoirs que pour un homme de mérite ; on ne dira point que ce sont ses jolies moustaches ni sa grâce à monter à cheval qui m’ont séduite, mais ses profondes discussions sur l’avenir qui attend la France, ses idées sur la ressemblance que les événements qui vont fondre sur nous peuvent avoir avec la révolution de 1688 en Angleterre. J’ai été séduite, répondait-elle à ses remords, je suis une faible femme, mais du moins je n’ai pas été égarée comme une poupée par les avantages extérieurs."

4 juin 2016

"J'apprends l'Allemand"

Toujours chez Actes Sud (je pense que c'est LA maison d'édition "importante" qui me passionne le plus. Sans bling-bling et sans actionnaire majoritaire, sans coup de pub, les Nyssen s'engagent et nous proposent toujours des auteurs qu'on a l'impression de "découvrir", et qui nous emportent dans leur conviction, leur honnêteté...), toujours un auteur français contemporain, même si ce roman a presque vingt ans maintenant.

 

J'ai lu au début de l'année (scolaire, l'année, toujours, comme pour Beauvoir) "Ah ! ça ira..." de Denis Lachaud, dont je n'ai pas réussi à parler ici (pas le temps, pas capable de faire passer l'importance de ce roman... Je n'en dirai qu'une chose : il y a un an, donc, Denis Lachaud racontait dans une fiction un mouvement populaire spontané, horizontal et sans leader, d'occupation de l'espace public en protestation contre une société qui laisse trop de gens sur le côté. Ça vous rappelle quelque chose ??), mais qui m'a enthousiasmé au-delà de ce que je peux en dire.

Et donc, quand j'ai croisé cet autre roman du même auteur sur les rayonnages du bouquiniste, je me suis empressée de l'ajouter dans ma besace. D'autant plus qu'il y a vingt ans je me souviens parfaitement avoir entendu des critiques élogieuses de ce "J'apprends l'Allemand" et m'être promis de le lire, ce que j'ai donc finalement fait... aujroud'hui.

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Nous suivons Ernst Wommel, né en France dans les années 60, fils de deux allemands qui ne lui parlent qu'en français, et n'évoquent jamais leur pays d'origine. Si Max, le frère aîné, semble parfaitement s'acomoder de la situation, Ernst veut savoir. Il commence donc par choisir d'apprendre cette langue, celle de ses parents, celle de ses origines, celle qu'ils n'ont pas voulu lui transmettre. Avec l'allemand, c'est l'Allemagne qui s'ouvre à lui : voyage scolaire, correspondant allemand qui devient son ami, sa deuxième famille; et c'est en interrogeant cette famille allemande sur son passé qu'il finira par avoir le courage de chercher à découvrir l'histoire de ses grands-parents.

Roman court car allant à l'essentiel, ce livre sur la famille, les origines, les secrets, leur acceptation (à travers le personnage du frère d'Ernst et de certains membres de la famille allemande), leur refus, parle avant tout du temps qu'il faut pour construire son identité, pour assumer sans culpabiliser, pour accepter et savoir sans pour autant excuser...

 

1 juin 2016

"De Nos Frères Blessés"

J'avais entendu le titre de ce livre, fort et poétique, mais je ne savais rien de son contenu. Et puis l'auteur, Joseph Andras, dont on voit partout la même photo, pas du tout une "photo d'écrivain", bien éclairée et savamment composée, avec bibliothèque ou bureau encombré de livres, mais une photo qui parait avoir été prise juste comme ça, par un amateur, un ami peut-être, lors d'une ballade pourquoi pas, l'auteur donc, a refusé le prix Goncourt du premier roman. Refusé les 5000 euros de récompense, refusé le bandeau rouge sur la jaquette de son livre, refusé les interviews, les belles photos, les plateaux télés, la table au salon du livre. Refusé, parce que "sa conception de la littérature" n'admet ni compétition ni récompense.

Un pur, j'ai pensé. Serait-il possible qu'il en existe encore ? et pas des purs "obscurs", qui ne sont purs que parce que personne ne leur propose jamais tout ça...

 

C'est bien cette impression d'intégrité qui ressort de la lecture de son livre sur Fernand Iveton. Pas de pathos à l'excès, mais en même temps une révolte, une rage qu'on sent à chaque page, contre la police et l'armée en Algérie qui ont torturé Iveton et tant d'autres; contre la "justice" qui l'a condamné, tribunal militaire pour un civil, un communiste, avait-il la moindre chance ? Contre le président qui a refusé de le gracier, espérant "par cet exemple" et tous les autres ramener l'ordre en Algérie...

 

Un livre court, dense, à l'écriture travaillée, parfois lyrique comme j'ai pu le lire, mais jamais ampoulée ou pédante. Un livre dur, que je vous recommande chaudement, s'il croise votre chemin...

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14 mai 2016

"Les Nuits Blanches" (Dostoïevski)

Un bref extrait de ce bref roman, histoire d'amour à Saint Petersbourg entre un rêveur et une jeune fille exaltée...

 

Le narrateur raconte à la jeune fille le fil de ses rêveries, des romances qu'il s'invente pendant des heures; rêverie brutalement interrompue par la visite d'un ami :

 

"Oh, concédez, Nastenka, qu'on peut bien sursauter, se troubler et rougir comme un écolier qui fourre dans sa poche une pomme qu'il vient de voler dans le jardin du voisin, quand une espèce de grand flandrin, éclatant de santé, un bon vivant et un joyeux luron, votre hôte inattendu, ouvre votre porte et crie, comme si de rien n'était : "Salut mon petit gars, j'arrive tout droit de Pavlovsk !" Mon Dieu ! Le vieux comte vient de mourir, un bonheur indicible s'ouvre devant vous - et vlan ! des gens arrivent de Pavlovsk !"

 

(traduction d'André Markowicz)

1 mai 2016

Le fracas du temps

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Il ne s'agit pas ici d'une biographie de Chostakovitch, au sens strict du terme; mais plutôt d'une description de ce musicien dans son rapport au pouvoir soviétique sous lequel il a vécu.

Julian Barnes prend le partie de le décrire à trois étapes de sa vie, lors de ce qu'il appelle ses "trois conversations avec le pouvoir", qui ont lieu à douze ans d'intervelles, en 36, en 48, et en 60. On y voit un artiste qui n'aspire qu'à composer sa musique, loin de toute préoccupation politique. Mais en Russie soviétique c'est impossible. "L'art appartient au peuple", cette citation de Lénine est gravée au fronton des conservatoires, et les critiques d'art livrent leurs oukazes dans la Pravda.

Un musicien dont l'œuvre est taxée de "formalisme" par exemple, devient un ennemi du peuple. Et un ennemi du peuple, sous Staline, ne survit pas très longtemps...


Chostakovitch doit donc composer avec ça. Intérieurement, il se voit comme un lâche, et il meurt de honte de ce qu'on lui fait dire, ou de ce qu'on écrit en son nom. Mais se révolter ou fuir est impossible, car cela signerait l'arrêt de mort de sa femme et de leurs enfants. Alors il compose. Et il attend. Le pouvoir prend contact avec lui, à différentes époques, pour qu'il ne risque pas d'oublier de rester dans le "droit chemin".

Il est membre de l'Union des compositeurs soviétiques, car seuls les membres de ce cercles peuvent se procurer du papier à musique... Et il tremble quand il est convoqué par le KGB, qu'on l'accuse de fomenter un "complot de musicologues" : ce qui pourrait sembler une farce, ailleurs, en d'autres temps, est sous Staline une possibilité...


J'avoue ne pas connaître plus que ça la musique de Chostakovitch. Mais je crois que le roman de Barnes va bien au-delà du cas particulier de ce musicien, il montre la relation toujours difficile entre un artiste et le pouvoir; et cette relation, de difficile, devient impossible sous un régime totalitaire...

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