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l'exigeante
23 septembre 2012

Le testament français

Je continue le fil de mes lectures autour de la Russie par Le Testament français, d'Andreï Makine.

Ce roman a été couronné par plusieurs prix littéraires, et cela s'explique parfaitement par la beauté de la langue, autant que par la qualité de la narration, qui fait de ce recueil de souvenirs un roman passionnant, qui nous amène de Paris aux confins de la SIbérie, du début du 20ème siècle aux années 90, passant par deux guerres mondiales, le goulag, la famine et la fin du communisme.

 

Ce qui m'a guidée vers cette lecture, c'est l'impression de lire "en miroir" le roman russe d'Emmanuel Carrère : Emmanuel Carrère est français, né en France, d'une mère née en France de parents russe. Et cette part de lui, cette russité, il la recherche dans son "roman", via la langue russe et l'histoire de ses grand-parents russes.

Makine est russe, né en Russie, d'une mère née en Russie d'une mère française. Et c'est par la langue française, sa "langue grand-maternelle" comme il l'appelle, et par l'histoire de Charlotte, sa grand-mère française, qu'il va accéder à son identité.

Je précise aussi que le roman n'est pas totalement autobiographique : il n'effectue par comme Carrère une sorte d'enquête clinique sur lui, sa famille, les circonstances qui ont fait de lui ce qu'il est; il romance énormément, et le narrateur qui dit "je", bien qu'ayant beaucoup de points communs avec Makine, ce n'est pas vraiment lui. (en particulier, le "vrai" Makine a été élevé par sa grand-mère, alors que le narrateur a des parents, et ne passe chez sa grand-mère que les vacances d'été).

 

Le narrateur nous raconte donc comment, dans son enfance, les histoires racontées en français par sa grand-mère Charlotte, qui vivait dans un petit appartement d'une petite ville coincée contre la steppe immense, ont envahi son imaginaire, ont crée en lui un monde rêvé, un "Paris-Atlandide". Charlotte mêle ses propres souvenirs (elle raconte certain restaurant parisien, certaine plaque commémorative sous une porte cochère...) et des évènements qu'elle n'a pas vécus elle-même mais qui constituaient l'actualité de son enfance : une crue de la Seine obligeant les parisiens à se déplacer en bateau, la visite de Nicolas II, la mort de Félix Faure...

 

Petit à petit, en grandissant, le narrateur apprend d'autres épisodes de la vie de Charlotte, que celle-ci lui raconte elle-même ou qui lui sont confiés par d'autres : née en Sibérie, fille de deux français dont un médecin venu s'installer en Russie, elle rentre en France à la mort de son père. Mais sa mère retourne en Sibérie, où elle se trouve bloquée par le déclenchement de la première guerre mondiale. Après la Révolution et l'Armistice, Charlotte quitte à son tour la France et part en Russie en tant qu'infirmière. C'est dans ce pays qu'elle se mariera à un membre du parti, qui connaîtra (comme tant d'autres !) une arrestation arbitraire, avant d'être envoyé au front lors de l'entrée en guerre de l'Union Soviétique.

 

Entre sa vie quotidienne soviétique et son imaginaire français, et même parisien de la belle époque, le narrateur se sent tiraillé, inadapté. Tantôt il souhaite renier toute "francité" en lui, au cours de son adolescence, tantôt il cherche à connaître le plus de détails possible sur la vie de Charlotte et la France en général... Jusqu'au jour où il quitte la Russie, définitivement, pour émigrer en France, vivre à Paris où il devient écrivain.

J'ai beaucoup aimé la façon dont Makine décrit le rôle de la langue française, cette langue étant la seule chose concrète qu'il connaisse de la France (le reste, les histoires de Charlotte, ses descriptions, se heurtent aux limites de son imagination). La grand-mère ne se contente pas de leur raconter des histoires ou de leur lire des coupures de journaux français, elle leur récite également des poèmes, et Baudelaire, Verlaine, leur langue deviennent, pour l'enfant, la France même...

 

Outre Carrère, ce roman m'a aussi beaucoup évoqué Mona Ozouf et sa composition française : sans doute car, pour les deux enfants, il y a deux langues : celle du dehors (l'école, les camarades) et celle de la maison; deux cultures, deux façons de percevoir les choses, et que les deux auteurs racontent comment cette double culture est lourde à porter pour un jeune enfant, qui préfère voir les choses de façon manichéenne et souffre d'une "trop" grande connaissance, d'une distance prise sur les évènements du dehors...

 

 

 

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