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l'exigeante
21 août 2011

Nous étions les Mulvaney

« Nous étions les Mulvaney »

 

Deuxième roman de Joyce Carol Oates que je lis, après « Les Chutes » le mois dernier. Celui-ci plutôt qu'un autre, parmi les trente et quelques romans de cet auteur, parce qu'il était le seul disponible à la fnac de Perpignan, avec « Blonde », que je lirai aussi bientôt, mais qui m'attend dans la bibliothèque de mes parents.

 

J'ai retrouvé pas mal de points communs entre « les Chutes » et « les Mulvaney », des thèmes, principaux et secondaires, une façon de conduire la narration... Pour ce qui est des thèmes, on retrouve celui de la famille heureuse qui se disloque à partir d'un événement précis ; celui d'un récit qui englobe plusieurs décennies, de la formation d'un couple à la vie adulte de leurs enfants ; et si dans « les chutes », on évoquait les ravages de la pétrochimie, et les scandales de la pollution dans les années 70, dans les « Mulvaney », on peut lire comment, dans les années 70, la femme violée était perçue comme forcément fautive, coupable, même (et surtout) aux yeux de la justice.

 

Enfin, le débat entre les personnages qui opposent la théorie de l'évolution au créationnisme, déjà présent dans les Chutes (au tout début, entre le premier mari d'Ariah, collectionneur de fossiles, et son père), se retrouve dans les Mulvaney.

 

On entre d'abord dans ce roman par son titre. « Nous étions les Mulvaney ». (la traduction est littérale, le titre original est « We Were the Mulvaneys ».) Et dans ce titre, d'emblée, toute à la fois l'intense nostalgie, l'idée d'un temps révolu, et la fierté de l'appartenance, le sentiment de faire partie d'un clan plus encore que d'une famille.

 

Les Mulvaney, cette famille si soudée, si particulière. Ce patronyme revient à chaque page ou presque de ce roman ; accolé au prénom du père, Michael Mulvaney, ou à celui d'un autre membre de la famille, Corinne, la mère, Mike, Patrick, Marianne ou Judd, les enfants. Ou jeté à la tête de l'un d'eux, par d'autres personnages : « vous, les Mulvaney ».

 

C'est donc l'histoire de cette famille qui nous est livrée dans ces 700 pages, une histoire qui s'étend sur une quarantaine d'année, des années 50, où le couple parental se forme, puis achète la ferme de High Point Road, qui sera leur point d'ancrage pour les décennies à venir, jusqu'aux années 90, où est situé l'épilogue.

 

Judd, le plus jeune des enfants, est le narrateur. Du moins est-il le narrateur la plupart du temps. Mais il y a beaucoup de passages, un chapitre entier même, dans lesquels Judd est désigné à la troisième personne. Et le roman décrit de nombreuses situations qui soit précèdent sa naissance, soit, se déroulent en son absence. Le narrateur est à la fois narrateur omniscient, et narrateur-personnage, témoin de ce qu'il raconte. Dès le premier chapitre d'ailleurs, Judd explique qu'un « petit dernier » est aussi plein des souvenirs qui l'ont précédé, que des siens propres. Qu'à force d'entendre raconter une anecdote familiale, il finit par se persuader lui-même qu'il « y était », qu'il a ressenti les émotions de ce moment-là, celles qui lui parviennent par le biais du récit des aînés.

Et dans « les chutes », dans la dernière partie en tout cas, on retrouve un peu le même procédé : par moment, il semble évident que la fille d'Ariah est la narratrice, et à d'autres moments, elle est désignée par son prénom...

 

Mais ce qui est le plus intéressant, c'est la façon dont est conduite la narration. L'auteur tisse ensemble tout « l'arrière-plan » de la famille Mulvaney, l'histoire familiale, les portraits de chacun, diverses anecdotes qui nous rendent tout ce petit monde très proche, très incarné ; et un récit, le récit de ce qui arrive à Marianne en 1976, et qui fera basculer toute la famille dans le malheur.

 

Dès les tout premiers paragraphes, cette soirée de 1976 est évoquée, comme étant le tournant de l'existence des Mulvaney. Dès le troisième chapitre, on entre de plain-pied dans cet « évènement ». Pourtant, comme Oates imbrique et entrecroise sans cesse son récit avec des retours vers le passé, « l'histoire » des Mulvaney, il faut plus de 200 pages pour parvenir à « l'après » 1976.

 

Là où d'autres écrivains auraient raconté en suivant scrupuleusement la chronologie, un peu à la Laura Ingalls Wilder, Oates mêle constamment les époques différentes, parfois même parlant « du présent », un présent dans les années 90 (date de l'écriture du roman), dans lequel Judd est journaliste...

 

Une leçon de narration, selon moi, en plus d'une fresque sur l'Amérique "profonde" de la deuxième moitié du XXème siècle... J'ai adoré, c'est vraiment le genre de roman que j'aime lire, qui allie intrigue passionnante, tant sur le plan des personnages que sur le plan plus "général" (un pays, une époque...), et un vrai style littéraire, digne de ce nom, un style que l'on sent vraiment travaillé...

Retrouver d'autres billets de blogueurs sur d'autres romans de Joyce Carol Oates ici :

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