Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
l'exigeante
3 août 2011

Grand siècle

Continuons dans les lectures estivales, avec la dernière en date : des extraits choisis des "mémoires" du duc de Saint-Simon. Saint-Simon ? Lire Saint-Simon sur la plage et la terrasse, en plein été ? Quelle drôle d'idée, non ? Jusqu'alors, je n'avais lu de Saint-Simon que les quelques pages qui figuraient dans mes manuels de littérature et d'histoire, au lycée. Et je n'avais jamais, jamais, envisagé sérieusement de me plonger plus avant dans les dizaines de milliers de pages qu'a noircies le Duc au cours de son existence. Depuis longtemps, je me dis qu'un jour, je lirai "la Recherche". Parce que bon, merde, il faut avoir lu "la Recherche", dans sa vie. Depuis le lycée, également, je lis un Balzac par an, parce que j'ai envie de pouvoir dire en atteignant la retraite (si un jour je l'atteins) que j'ai lu toute la comédie humaine. Mais je doute fort que lire les mémoires de Saint-Simon in extenso soit à ma portée. Je n'en ai jamais eu l'ambition. Et pour que je le fasse il faudrait probablement que je sois parachutée sur une île déserte, seule avec les 8 volumes des "mémoires" dans la Pléiade. Pourtant, fin Juin, je parcourais le hors-série "lectures d'été" de Marianne et du Magazine littéraire, et je ne sais plus quel critique recommandait une compilation d'extraits des "mémoires", que l'universitaire ("spécialiste des mémorialistes", il faut des spécialistes de tout, que voulez-vous) qui s'est chargé de la sélection a eu le génie d'intituler "cette pute me fera mourir...". Et que voulez-vous, rien de tel qu'un bon marketting agressif pour vous donner immédiatement l'envie irrésistible de lire Saint-Simon. Je me suis donc rendue à la Fnac, j'ai demandé avec beaucoup de naturel "Cette Pute me Fera Mourir..." à une vendeuse, qui m'a fait répéter deux fois pour être bien sûre.

En 450 pages (au lieux des dizaines de milliers de l'œuvre intégrale), on se fait une idée assez juste 1) du style extraordinaire de l'auteur et 2) de la vie à Versailles, sous la fin du règne de Louis XIV. Cette anthologie comporte des articles décrivant des évènements allant de 1691 (l'année où Saint-Simon fut introduit à la cour du Roi Soleil, La Reine étant morte depuis plusieurs années déjà, et Mme de Maintenon, maîtresse puis femme épousée en secret du roi, régnait sur son époux et sur tous les courtisans.) à 1715, mort de Louis XIV. Si on peut souvent se laisser déborder par la généalogie ultra compliquée de la famille royale (Louis XIV avait un fils légitime, 5 bâtards, enfants de ses 2 premières maîtresses officielles, des petits enfants, des neveux, nièces et cousins, et tous, mariés entre eux.), on se laisse très facilement prendre dans toutes les descriptions que fait le mémorialiste des caractères, des intrigues, des ambitions, de tous ces gens-là. On y fait aussi la connaissance de courtisans assez extraordinaires, et on voit s'y dérouler des scènes drôles, affreuses, tristes, etc. Mieux qu'un sitcom. L'extrait s'achève par ce que les spécialistes de Saint-Simon appellent le "tableau du règne" : à l'occasion de la mort du roi soleil, l'auteur revient sur ce que fut sa vie, son caractère, et décrit par le menu ses habitudes, son quotidien, tel que les courtisans dont Saint-Simon faisait partie, l'ont vécu. C'est dans ces dernières pages que Saint-Simon rapporte que la Reine Marie-Thérèse, voyant le Roi s'afficher ouvertement avec sa maîtresse madame de Montespan (dont il aura 4 enfants), répétait "Cette pute me fera mourir...". Comme quoi, même les reines peuvent se montrer grossières ! J'ajoute qu'on peut trouver l'intégralité des "mémoires" en ligne, et qu'il existe des tas d'éditions qui en présentent des extraits choisis. Ci-dessous, pour vous permettre de vous faire une idée de la plume acérée du Duc, et des personnages qui pouvaient se croiser à Versailles, un court extrait qui m'a fait pousser de petits cris d'horreur...

"Cette princesse d’Harcourt fut une sorte de personnage qu’il est bon de faire connaître, pour faire connaître plus particulièrement une cour qui ne laissait pas d’en recevoir de pareils. Elle avait été fort belle et galante ; quoiqu’elle ne fût pas vieille, les grâces et la beauté s’étaient tournées en gratte-cul. C’était alors une grande et grosse créature, fort allante, couleur de soupe au lait, avec de grosses et vilaines lippes, et des cheveux de filasse toujours sortants et traînants comme tout son habillement. Sale, malpropre, toujours intriguant, prétendant, entreprenant, toujours querellant et toujours basse comme l’herbe, ou sur l’arc-en-ciel, selon ceux à qui elle avait affaire ; c’était une furie blonde, et de plus une harpie ; elle en avait l’effronterie, la méchanceté, la fourbe et la violence ; elle en avait l’avarice et l’avidité ; elle en avait encore la gourmandise et la promptitude à s’en soulager, et mettait au désespoir ceux chez qui elle allait dîner, parce qu’elle ne se faisait faute de ses commodités au sortir de table, qu’assez souvent elle n’avait pas loisir de gagner, et salissait le chemin d’une effroyable traînée, qui l’ont mainte fois fait donner au diable par les gens de Mme du Maine et de M. le Grand. Elle ne s’en embarrassait pas le moins du monde, troussait ses jupes et allait son chemin, puis revenait disant qu’elle s’était trouvée mal : on y était accoutumé. Elle faisait des affaires à toutes mains, et courait autant pour cent francs que pour cent mille ; les contrôleurs généraux ne s’en défaisaient pas aisément ; et, tant qu’elle pouvait, trompait les gens d’affaires pour en tirer davantage. Sa hardiesse à voler au jeu était inconcevable, et cela ouvertement. On l’y surprenait, elle chantait pouille et empochait ; et comme il n’en était jamais autre chose, on la regardait comme une harengère avec qui on ne voulait pas se commettre, et cela en plein salon de Marly, au lansquenet, en présence de Mgr et de Mme la duchesse de Bourgogne. À d’autres jeux, comme l’hombre, etc., on l’évitait, mais cela ne se pouvait pas toujours ; et comme elle y volait aussi tant qu’elle pouvait, elle ne manquait jamais de dire à la fin des parties qu’elle donnait ce qui pouvait n’avoir pas été de bon jeu et demandait aussi qu’on le lui donnât, et s’en assurait sans qu’on lui répondît. C’est qu’elle était grande dévote de profession et comptait de mettre ainsi sa conscience en sûreté, parce que, ajoutait-elle, dans le jeu il y a toujours quelque méprise. Elle allait à toutes les dévotions et communiait incessamment, fort ordinairement après avoir joué jusqu’à quatre heures du matin."

Publicité
Publicité
Commentaires
Publicité
Archives
Publicité