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l'exigeante
21 juin 2011

Arthur, Georges et Mona

Outre un Pennac moyen-moyen ("Le Dictateur et le Hamac") et un énième polar suédois de Camilla Läckberg, j'ai lu deux folios retrouvés dans le vrac et le berdol de mes cartons de livres. Les deux m'ont beaucoup intéressée et surtout ont des résonances avec l'actualité (enfin, une certaine actualité... C'est pas le "Journal d'une femme de chambre", non plus.) Mona Ozouf, "Composition française : Retour sur une enfance bretonne". Il s'agit à la fois de récits d'épisodes de l'enfance de l'auteur, et d'une réflexion sur la façon dont la république hait et redoute toute forme de singularité régionale. Mona Ozouf est née au début des années 30, fille de deux instituteurs bretons. Son père, Yann Sohier, est un militant de la langue et de la culture bretonne. Son engagement prend diverses formes, mais il meurt bien trop jeune, avant la seconde guerre mondiale, et le reste de la famille, sa femme et sa fille Mona, portent à jamais inscrits en elles le "combat" que Yann n'a pas pu mener. Mais à l'école de la république, à l'église qu'elle fréquente malgré tout, à Normale Sup, au parti communiste qu'elle rejoint brièvement pendant ses études, Mona ne peut s'empêcher d'analyser le discours de "la maison" aux idéologies qu'elle croise. Dans la dernière partie, la fameuse "composition française", c'est la directeur de recherche au CNRS, auteur de nombreux ouvrages sur l'histoire de la République Française, qui essaie de montrer pourquoi, depuis son origine, la République est Une et Indivisible, pourquoi elle peut accepter toutes les individualités, mais se sent menacée par tout ce qui est un "ensemble dans l'ensemble", un groupe soudé autour d'une région, d'une langue, d'une culture qui ne serait pas celle de la République. Mona Ozouf a grandit dans une Bretagne où le Gwenn ha Du (le drapeau breton) était strictement interdit, la langue bretonne interdite aussi à l'école et dans toutes les administrations... Bref, aujourd'hui, le drapeau flotte sur toutes les mairies (enfin, pas celle de Saint-Nazaire...), les écoles Diwan et les formations accélérées pour adultes transmettent la langue bretonne... Le contexte est sans doute un peu différent. Mais le débat s'est déplacé, et tout le discours sur le communautarisme et sur l'intégration, lu sous cet éclairage, devient simplement un mouvement de crainte d'une République, pourtant solide, qui se sent menacée quand ses individus se rassemblent sous une bannière "intermédiaire". Or, cette peur est sans fondement, comme l'illustre cette phrase de Mona Ozouf : "En chacun de nous en effet, existe un être convaincu de la beauté et de la noblesse des valeurs universelles, séduit par l'intention d'égalité qui les anime et l'espérance d'un monde commun, mais aussi un être lié par son histoire, sa mémoire et sa tradition particulières. Il nous faut vivre, tant bien que mal, entre cette universalité idéale et ces particularités réelles." J'ai beaucoup aimé ce livre, et j'y ai beaucoup appris sur l'histoire du mouvement breton, y compris sur ses pages "sombres".

 

Une histoire d'intégration plus que réussie selon les critères actuels, c'est celle de George Edalji, jeune anglais d'origine indienne, héros d'"Arthur et George", de Julian Barnes, un de mes auteurs anglais favoris. Le père de George, parsi, converti à l'anglicanisme, vit en Angleterre avec son épouse Charlotte, écossaise, et ses trois enfants, dont George est l'aîné. On répète à George depuis son enfance qu'il est anglais, qu'il vit au cœur de l'empire britannique. George est un jeune homme sérieux, appliqué, ses études de droit le conduisent à devenir avoué et à publier un petit opuscule sur le droit ferroviaire. Mais en cette fin de XIXème siècle, le simple fait d'être un métis "trop" bien intégré à la société anglaise est suspect. George est accusé d'un "crime" (avoir blessé un cheval) et condamné à 3 ans de travaux forcés. À sa sortie, il soumet son histoire à Sir Arthur Conana Doyle, un des écrivains les plus illustres du Royaume-Uni. Contre toute attente, Conan Doyle s'empare du "cas" Edalji et défendra le jeune homme, jusqu'à obtenir la reconnaissance de son innocence, et la création d'une cour d'appel au Royaume-Uni. Je n'avais jamais entendu parler de ce fait-divers authentique, qui fut "l'affaire Dreyfus" anglaise, à peu près dans les mêmes années. Le livre se lit agréablement au début, on alterne entre George et Arthur, dont Julian Barnes nous déroule par le détail l'enfance, l'adolescence et la jeunesse. Mais les presque 600 pages du volume finissent par peser, à la fin... Le soucis de vraiment "coller" à la réalité des faits, peut-être; ou les trop nombreuses parties qui s'éloignent totalement de l'affaire : on peut peut-être trouver plaisir à la lecture des expériences de Doyle avec le spiritisme, ou de sa vie conjugale un peu mouvementée... Je pense que j'aurais préféré un livre plus "resserré", vraiment centré sur l'affaire Edalji. Cependant, on peut quand même lire ce livre non pas comme un roman policier, mais plutôt comme un roman où le héros des romans policiers est mis à l'épreuve de la marche de la justice : "Voilà où l'excès d'enthousiasme de Sir Arthur l'avait mené. Et tout cela, décida George, était la faute de Sherlock Holmes. Sir Arthur avait été trop influencé par sa propre création. Holmes effectuait ses brillantes déductions, puis remettait aux autorités des criminels dont la culpabilité ne faisait aucun doute. Mais Holmes n'avait jamais été contraint de se tenir à la barre des témoins et de voir ses suppositions, intuitions et impeccables théories réduites en fines poussières par des gens comme Mr Disturnal..." Alors qu'on reparle de l'affaire Omar Radad, ce livre me semble une lecture très adaptée...

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